Notre coexistence sublime : propos participant des paysages de changements climatiques de Ripley Whiteside
par Roksana Filipowska, PhD, New Haven, Connecticut
Imaginez un bosquet d'arbres. Peut-être est-ce un bosquet familier, bien battu, avec des sentiers pédestres et des souvenirs. Peut-être que ce bosquet imaginaire est un assemblage d'arbres, une image de signifiants arboricoles aux contours esquissés sans caractère particulier. Mais à quoi ressemble la vie de ce bosquet ? Plutôt que de vous arrêter à une vue statique des arbres, vous pourriez imaginer le sol supportant leurs racines, la relation symbiotique entre les systèmes fongique et racinaire permettant d'accéder aux rares nutriments et de se protéger des parasites, ou alors l'eau qui s'introduit par osmose dans les racines afin de voyager dans l'écorce jusqu'aux feuilles tout en haut. Imaginer la vie des arbres fait éclater les limites de leur image. Alors que le bosquet est cadré comme un sujet à contempler dans l'image, la vie émerge sous la forme des divers processus interdépendants, souvent invisibles, rattachés à des écosystèmes de plus en plus vastes et complexes.
Et si imaginer la vie du bosquet s'étendait à l'impact des changements climatiques ? En considérant la source de l'eau ainsi que les toxines qui s'infiltrent dans le sol, l'exercice devient nocif : les arbres pompent de l'eau polluée et font de la photosynthèse avec de l'air contaminé. Et alors même que les processus de vie continuent, l'apparence future du bosquet devient incertaine. Quelles nouvelles configurations de flore émergeront tandis que le biote et les toxines produites par l'homme s'amalgament ? Contempler cet étrange avenir ouvert de l'écosystème du bosquet dans le cadre des changements climatiques constitue un exercice esthétique. Bien qu'elle soit toujours brisée, l'image resurgit - ses tessons, tel un miroir, reflétant des aperçus d'une sombre écologie, d'un étrange enchevêtrement de matière et d'énergie.
Le philosophe Timothy Morton spécule que la conscience écologique prend la forme d'une étrange boucle ou d'un ruban de Möbius. Accéder à sa logique curieuse serait de considérer sa propre participation implicite. La conscience écologique situe l'humain en tant que participant implicite au crime des changements climatiques, tout en écartant l'humain du statut de sujet, aussi bien cohésif que privilégié. Pour Morton, les humains sont au nombre des multiples forces géophysiques et, de la sorte, l'épistémologie est transmuée en une écognose, où la connaissance se transforme en une boucle étonnante de « laisser-paraître », ou en quelque chose ressemblant à la coexistence. Avec ses peintures de paysage, Ripley Whiteside aborde la question de sa propre participation implicite à l'avènement des changements climatiques, ainsi que celle de l'horreur et de la perversion à trouver du plaisir esthétique dans des sites de réchauffement planétaire. Opérant dans le cadre de l'étrange boucle de conscience écologique, les aquarelles de paysages abstraits de Whiteside reflètent une interdépendance aussi omniprésente que sublime.
La peinture de paysage est un genre lourd de sens. Elle s'est appesantie au cours des siècles, avec les peintres obscurcissant les origines autochtones d'un site ou les individus travaillant pour maintenir les terres afin d'assurer une image esthétiquement attrayante. C'est dire que chaque paysage - peu importe la précision de son rendu -
constitue l'abstraction d'un écosystème, d'un réseau complexe d'organismes vivants et de composantes inanimées, ainsi que d'histoires contextualisant la manière dont les humains font l'expérience de leur enchevêtrement au sein de ce système interdépendant. Le peintre de paysage fait également partie de cet écosystème. Qu'elle soit pittoresque, naturaliste ou sublime, l'image est porteuse des craintes et des désirs du peintre, tandis qu'ils suivent le cours du monde. En cadrant le paysage comme une scène à contempler par le regardeur, le peintre résume l'interdépendance en la ruse de la domination humaine. Le genre est ainsi problématique : le peintre de paysage contemporain se trouve à faire face non seulement au poids historique du genre, mais aussi au subterfuge de l'exceptionnalisme humain et à sa coutume connexe de longue date d'exploitation des terres.
Whiteside retourne la logique de la peinture de paysage sur elle-même, transformant le genre en une boucle. Dans Dawn [Aube], par exemple, l'événement quotidien, et couramment photographié, d'un lever de soleil frappe une corde funeste. S'échappant d'un orbe rayonnant qui illumine un horizon trouble, un jaune profond mêlé aux bruns terreux de la berge prend une teinte chimique. Cette indétermination entre lumière et masse, ou entre figure et fond, rend illisible une grande partie de l'image, comme si elle était vue à travers des yeux plissés cherchant à reconnaître un paysage sous la couche épaisse de smog recouvrant tout ce qu'il touche. La lumière du soleil délimite des branches d'arbre individuelles tout en en oblitérant d'autres, compliquant plus encore l'ontologie de la source de lumière blanche brillante au centre de l'image. Peut-être la rivière reflète-t-elle la radioactivité d'une bombe explosive plutôt que la lumière d'un soleil essentiel à la vie.
Alors que les peintres représentent habituellement un paysage au moyen de peinture, Whiteside s'intéresse à la manière dont les matériaux d'art participent aux écosystèmes dont ils font partie. Il collectionne les coques de noix noires tombées des arbres afin de fabriquer sa propre encre, ce qui rend sa pratique à la fois durable et spécifique au site. L'aquarelle est souvent évaluée en fonction du contrôle qu'exerce le peintre sur la peinture. Pour sa part, Whiteside applique l'eau de façon généreuse, invitant des mixtures inattendues de flaques d'encre et de couleurs. Si l'abstraction dans le genre du paysage a servi d'outil pour naturaliser le contrôle exercé par les humains sur leur environnement, les paysages de Whiteside sont devenus abstraits au moyen d'un flux d'eau sans retenue. Jeff Wall a parlé de « l'intelligence liquide » de procédés humides tels que la photographie chimique à ses débuts, de même que le lavage et la dissolution, relevant que l'eau incarne des traces mnésiques de la transformation. Dans les peintures de Whiteside, l'intelligence liquide de l'encre évoque le caractère incalculable du changement climatique ou du potentiel de l'eau pour nettoyer et purifier. Peut-être que ce qui déconcerte le plus au sujet de ces paysages est l'ambiguïté de leur transformation; leur avenir demeure ouvert et inconnaissable.