Cette exposition met en lumière l’originalité et la diversité des représentations du corps humain par les artistes de la galerie. Réalisées à l’aide d’une variété de techniques – le dessin, la photographie, la sculpture et la vidéo –, ces œuvres nous rappellent de l’importance de nos corps dans une culture de plus en plus cérébrale et numérique.
Dans ses photographies, Chih-Chien Wang fait souvent des rapprochements entre des parties de corps humain et les textures tendineuses de fruits et légumes coupés. L’idée de l’amputation et du démembrement suggère que ce qui est déconnecté de sa source vitale doit inévitablement s’atrophier et pourrir.
Vue de loin, les photographies de la série Topographic Introspective de Karilee Fuglem ressemblent à des images aériennes de paysages désertiques : des dunes, des arêtes et vallées formées par le vent et le sable. En fait, il s’agit de plans très rapprochés de sa peau après la naissance de son deuxième enfant. Le corps, tel un paysage, est un lieu de mémoire; nos cicatrices, nos bosses, nos maux divers sont des jalons de nos voyages personnels.
Avec sa série Empreinte, Roberto Pellegrinuzzi explore la topographie d’une empreinte digitale, nous révélant la tridimensionnalité de nos propres empreintes digitales (que nous avons l’habitude de voir en deux dimensions, sous forme d’impressions à l’encre) et leurs similitudes avec des phénomènes géographiques tels des deltas, des îles et des arêtes (des termes techniques utilisés dans la prise d’empreintes digitales). Et puisqu’une empreinte digitale ne peut jamais être identique à une autre, il s’agit en quelque sorte ici de portraits ultimes à échelle macro.
Dans le travail d’Ed Pien, le corps humain est replongé dans le monde naturel et retrouve son soi primitif. Des scènes de cannibalisme (The Feet Eater), de désir charnel (Come and Get It) et de magie noire (The Charmer Dance) montrent des figures humaines affranchies de la chemise de force des normes sociétales se comportant de manière animale. Ces images sont troublantes précisément parce que l’abandon à la chair qui y figure nous fascine.
Pour Maskull Lasserre, l’os est le prototype premier du sculpteur. Dans le livre de la Genèse, Dieu « sculpte » Ève à partir de la côte d’Adam, et les Inuits sculptaient des os d’animaux, les façonnant en symboles magiques utilisés dans les rites religieux. Ici, Lasserre inverse le processus, sculptant un « os humain » parfait à partir d’objets domestiques en bois. Les titres chamanistiques des œuvres (Totem, Oracle) suggèrent l’anthropomorphisme, la mémoire et le mystère.
Les images vidéo d’Adad Hannah utilisent le corps humain comme jalon pour marquer le passage du temps. La tension dans les vidéos provient de l’inconfort que nous éprouvons en regardant s’immobiliser, se paralyser quelque chose qui est habituellement en mouvement. En cela, le titre de la célèbre peinture (Le radeau de la Méduse) à laquelle fait référence ce tableau vidéo est d’autant plus significatif. Dans la mythologie grecque, le regard hideux de la Gorgone Méduse transforme en pierre celui ou celle qui la regarde. Cette idée est inversée dans Unwrapping Rodin, oùHannah nous montre une figure en bronze figée arrachant – en apparence – son emballage muséal et, à la manière d’une momie, revenant à la vie.
Dans le diptyque vidéo Icônes de Luc Courchesne et Marie Chouinard, les artistes présentent le corps humain en mouvement. Les expressions de curiosité des danseurs qui tournent et tordent leurs membres devant une lentille panoscopique nous sensibilisent au pur merveilleux des vaisseaux malléables que nous habitons. Présentés tels des univers autonomes, grâce au point de vue simultané à 360 degrés, nous les contemplons avec émerveillement, comme si nous observions des insectes dans un bocal.
Fragile, de John Latour, présente un artefact permettant de décoder le physique de son éventuel propriétaire. Jouant avec nos attentes relatives à l’échelle humaine, l’artiste a modifié un outil habituellement banal (la canne) pour suggérer un propriétaire aux proportions « anormales ». Au xixe siècle et au début du xxe siècle, les dits « géants » étaient fréquemment recrutés en tant que numéros de cirque; ils étaient souvent exploités et contraints à se prêter à des démonstrations de force physique, lesquelles aggravaient plusieurs des problèmes de santé couramment associés à leur gigantisme. Le titre Fragile nous rappelle que malgré la gigantesque taille de l’objet (et conséquemment de son propriétaire), la canne est un symbole de notre fragilité corporelle.
-Simon Nakonechny (commissaire)