Pierre-François Ouellette art contemporain est heureux de présenter une exposition solo de nouvelles peintures de Benjamin Klein. Ces nouvelles œuvres élargissent le langage visuel et la nature philosophique de la pratique de Klein. Comme l'écrit l'artiste :
Mes peintures représentent un monde nocturne vif et onirique, foncièrement incertain et relativiste dans sa réalité imaginaire. Dans des paysages fantasmagoriques liminaux, quelque part entre ce que nous nommons (et différencions) « figuration » et « abstraction », je crée des illusions crédibles tout en les perturbant, afin de distinguer et d’opposer quantité de possibilités interprétatives.
Je peins en suivant des orientations visuelles divergentes et unificatrices, ajoutant et soustrayant, planifiant par avance, mais jouant aussi avec le hasard et les agglomérations; adoptant, somme toute, l’expérimentation comme stratégie artistique, afin d’obtenir un résultat pictural des plus riches.
L’œuvre comprend des récits possibles, de même que des fragments de textes poétiques, fabulistes ou semblables à des paraboles, dans des scènes déroutantes, sans trame narrative définitive, et ne se laissant pas réduire à des stratégies ou à une procédure stylistique surdéterminées – ni formelles ni conceptuelles.
Potentiellement allégoriques et empreintes de possibilités symboliques et sémiotiques, ces peintures néanmoins incarnent et expriment des états émotionnels naturels et peut-être illogiques et irrationnels. Elles véhiculent l’urgence et l’étrangeté de rêver, mais ne traitent pas de rêves ou de visions; elles leur ressemblent. Quand une peinture est finie, c’est parce qu’il ne m’est plus possible de laisser le paradoxe ou le chaos y exister sans détruire le monde particulier et nuancé que j’ai créé. De manière semblable, sur le plan émotionnel, je charge l’atmosphère de mon travail aux limites de sa capacité, tout en élaguant et en m’efforçant d’éviter le sentimentalisme et l’usage prévisible de clichés.
Dans la production plus récente, les dislocations d’espace et de perspective sont devenues plus prononcées; la galerie de personnages, plus vaste et plus allusive, et l’atmosphère, plus animiste et surnaturelle. Précédemment, le travail présentait une volonté de correspondre à une représentation à tout le moins potentielle de notre monde, mais il est désormais devenu autre chose.
Libre de représenter un écosystème onirique, magique, ma peinture est devenue une image de la représentation elle-même – qui peut ou pas être une forme philosophique de réalité, au plein sens du terme. Je traite de la notion de l’au-delà ou du monde des esprits; non pas de l’au-delà qui existe (si il existe), tel que nous l’imaginons selon une perspective culturelle ou personnelle. Plus précisément, je travaille avec des métaphores de l’au-delà. Dans la mesure où il y a une véritable différence entre métaphore et réalité, je peins un lieu où l’esprit ou l’âme, qui peuvent d’ailleurs eux-mêmes être perçus comme métaphores, sont les figures qui véhiculent le fondement de ma peinture.
Je souhaite saisir – non pas capturer, mais bel et bien saisir – le moment et le lieu où la réalité et la fiction se défont et se combinent, où la réalité et l’irréalité deviennent un, où les règles sont contournées et finissent par être brisées – un paysage qui génère une impression étrange que le regardeur est à la fois là et y a auparavant été – bien que, de façon réaliste, ce lieu ou événement ne soit pas possible.
Les personnages que je représente sont comme les peintures qu’elles habitent – les peintures elles-mêmes sont les personnages principaux, et les éléments représentés peuvent être vus comme des figures, avec les arbres, les fleurs et les nuages tout aussi « vivants » que les tortues, les vaches ou les lapins. La peinture entière fonctionne comme un « œil » qui observe métaphoriquement le regardeur, à l’instar du regardeur qui contemple littéralement la peinture, un peu comme le personnage dramatique qui perce le quatrième mur et s’adresse directement à l’auditoire.
La faune que je représente (et dans les faits invente) ne ressemble en rien aux créatures du monde véritable. Certaines figures sont suffisamment semblables à une « tortue » ou à une « vache » pour se faire appeler par ces noms, mais c’est nommer (dans le sens ontologique), en soi, qui est mis en lumière par mon acte de représentation. Le statut d’identités et de réalités beaucoup moins certaines et connaissables change constamment dans une atmosphère de fragments dramatiques et de relations (entre les personnages) chargées.
Mon iconographie personnelle et en développement continu est utilisée pour mettre en scène des interactions ayant de potentiels contenus et significations archétypaux et mythiques, à la manière d’une saga poétique ou d’un récit spirituel. Ceci peut impliquer que ce que nous voyons sont des moments d’importance intenses, possiblement apocalyptiques, tandis que la réalité en question atteint un point d’inflexion d’importance totale. Mais il se peut tout aussi bien que les personnages soient en train de vivre quelque chose de quotidien sans signification particulière – peut-être sont-ils simplement des animaux vivant dans et avec (leur) nature; peut-être voyons-nous des personnages en amour se reproduisant; peut-être sont-ils en guerre et sur le point de se battre; peut-être sont-ils insensés et sans la moindre idée les uns des autres.
Les limites de ce qu’un personnage peut incarner est une considération qui retient mon attention dans les peintures où des figures semblent entrer de le champ visuel et interagir avec une dynamique qui transcende la réalité « normale », comme lorsqu’une créature gigantesque (une girafe, par exemple, ou une araignée) apparaît dans le ciel ou dans les eaux, tel un ange, un fantôme, ou même une déité. Dans mon univers, mortel et immortel sont des appellations effondrées, les morts marchent parmi les vivants, dieux et êtres mortels peuvent se voir les uns les autres.
Ce qui me fascine à propos de peindre à l’huile sur des toiles conventionnelles est la possibilité épistémologique radicale que la soi-disant « fenêtre » à travers laquelle nous « regardons » soit activée de façon à remettre en question ontologique le statut des objets physiques (y compris nos corps, nos cerveaux et nos organes sensoriels, et donc notre conscience même d’exister et de percevoir) en tant qu’« objets réels » : elle atteint et (conceptuellement) enfreint cette limite empirique de notre compréhension qui active le contenu de ma peinture et alimente sa signification esthétique.
L’existence (et les fictions existantes) et la conscience que nous en avons peuvent ou pas être identiques; une peinture doit rendre compte de cela. D’une certaine façon, chaque peinture retourne au point de départ de la créativité, l’esthétique comme telle : la création à partir de rien. Le paradoxe est que la seule façon de distinguer les faits de la fiction est de reconnaître cette épistémologie – un processus qui, à notre époque, est devenue une nécessité primordiale radicale.
- BK
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Benjamin Klein est né à Chicago et a grandi à Montréal. Les peintures de paysages de Klein dépeignent un monde nocturne coloré, ombragé et ambigu, aux proportions et à la matérialité incertaines. Se déplaçant constamment dans des dimensions psychologiques aussi bien que physiques, son monde est peuplé de personnages anthropomorphes, animaliers, qui interagissent et se métamorphosent en scènes fragmentées, chargées de potentiel sémiotique et symbolique. Il est titulaire d'un baccalauréat en arts plastiques de l'Université Concordia et d'une maîtrise en beaux-arts de l'Université de Guelph. En 2010, il a été finaliste au Concours national de peinture de RBC. Il a exposé partout au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne.