La galerie Pierre-François Ouellette art contemporain est fière d'annoncer une nouvelle initiative de la galerie dédiée principalement aux jeunes commissaires d'exposition. pfoac221 est un espace de 600 pieds carrés situé à Montréal dans l'édifice Belgo, local 221. Cet espace de projets multiusage sera utilisé comme lieu distinct de la galerie pour des projets spéciaux de ses artistes, mais aussi (et surtout) pour donner la chance à de jeunes commissaires de monter des expositions et de contribuer à la recherche en arts visuels. Pierre-François Ouellette est heureux qu'Eduardo Ralickas, jeune commissaire qui vient de terminer son doctorat en histoire de l'art à l'Université de Montréal et l' École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris, ait accepté d'organiser l'exposition inaugurale.
Pour l'exposition The Complete Dare Videos de l'artiste Simon M. Benedict, le commissaire invité Eduardo Ralickas a transformé le nouvel espace de projets chez Pierre-François Ouellette Art Contemporain en salle de cinéma. La fonction de commissaire a donc empiété sur celle de programmateur cinématographique. Par effet de mimétisme, une transformation analogue se produit chez le visiteur: celui-ci devient alors un « spectateur » au sens pleinement cinématographique du terme. Comme il est de coutume, un horaire est affiché à l'extérieur de la salle; celui-ci vise à orienter les comportements de visionnement. C'est dans cette optique que Ralickas a délibérément choisi un programme de vidéos ludiques, se déployant sur deux jours, dont la facture frôle l'amateurisme et dont le caractère parfois trash évoque le cinéma expérimental et s'inscrit en faux contre l'habitus des usagers du « cube blanc ».
Le programme de projections s'articule autour d'une performance dans laquelle Simon M. Benedict s'approprie le livre I Dare You! (« Je vous défie ! ») écrit par le fondateur de Nestle Purina, William H. Danforth, dans les années 1940. L'ouvrage se veut un manuel pratique pour jeunes adolescents en mal de conseils pour réussir dans la vie. Dans la vidéo, l'artiste lit le livre à haute voix du début à la fin pendant une séance filmée qui dure près de trois heures.
L'œuvre « I dare you to read this book » conclut une série de performances vidéo interrogeant la culture du défi. Un protocole de travail régit l'élaboration des œuvres : une personne issue de l'entourage immédiat de l'artiste (un ami, un membre de sa famille ou un collègue) initie chaque performance en lançant un défi. Ainsi, l'acte que l'artiste doit accomplir fait d'abord l'objet d'un énoncé linguistique précis qui donne le titre à chaque vidéo. Bien que les défis à relever varient selon les émetteurs, ils ont pour point commun de pousser l'artiste à poser des gestes humiliants. Dans les bandes vidéo, on peut donc voir Benedict faire preuve d'incompétence alors qu'il essaie d'incarner plusieurs postures énonciatives mais sans succès. Qu'il se mette en scène comme un rappeur dans le métro ou comme un orateur récitant un texte de façon théâtrale, l'échec performatif est au rendez-vous.
D'un point de vue anthropologique, la dimension relationnelle du défi relève du rituel de socialisation et s'inscrit sous la rubrique des rites de passage que l'on doit accomplir afin d'accéder à la communauté de pairs. Par ailleurs, en tant que comportement structurant la personnalité pendant l'adolescence, relever des défis (ou les lancer) comporte une fonction identitaire: déterminer les limites et le pouvoir d'influence de la subjectivité de chacun au sein d'un groupe social donné.
En interrogeant la dynamique intersubjective du défi dans le cadre d'une démarche artistique, les vidéos de Benedict permettent d'envisager le sujet de l'art comme un formation discursive structurée par la voix de l'Autre. Ainsi, l'exposition tente de déterminer dans quelle mesure les œuvres de l'artiste relèvent de l'autoportrait. Alors que le problème du portrait, du moins dans ses formes classiques, est celui de la figurabilité du moi, les vidéos de Benedict insistent davantage sur les fondements linguistiques et sociaux qui sous-tendent les formations identitaires. Mais le sujet dont il s'agit ici est le sujet artistique, et cela change tout. En effet, l'intérêt de ces performances tient au statut créatif des interlocuteurs de l'artiste : autrui contribue à façonner et à figurer l'image qu'il projette. Le moi qui en résulte n'existe, au final, que comme représentation; il s'agit d'un sujet sans autonomie propre, produit du langage de l'Autre dont les gestes (l' « action ») assument le procès de sa propre « passion »: un sujet de l'humiliation.
Cette exposition s'inscrit dans le cadre d'un projet plus large portant sur les modalités de l'échec performatif dans l'art actuel.
Notes biographiques
Simon M. Benedict est un artiste québécois qui vit et travaille présentement à Berlin. Ses œuvres se déploient sous forme de vidéos, photographies dessins et installations. En 2010, il a obtenu un baccalauréat en arts visuels de l'Université Concordia. En 2011, il a participé à une résidence au Banff Centre for the Arts. Ses œuvres ont été exposées au Québec, au Canada, aux États-Unis et en Europe.
Eduardo Ralickas est un historien de l'art, commissaire et critique d'art montréalais. Il détient un doctorat de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris) et de l'Université de Montréal. Ses essais ont été publiés dans Parachute, esse, Ciel Variable, Blackflash, entre autres. Il a également écrit des textes pour la revue Intermédialités, les Annales de l'histoire de l'art canadien et l'ouvrage Le travail qui nous attend (publié par le Musée d'art contemporain de Montréal lors de sa deuxième Triennale). Il travaille actuellement à Artexte à titre de conservateur adjoint.