C'est avec fierté que Pierre-François Ouellette art contemporain présente un regard intime sur le travail exploratoire de Karilee Fuglem, dont l'atelier à été transporté et re-créé en galerie. Plutôt que d'offrir une représentation clinique de sa pratique artistique, Fuglem invite les visiteurs à découvrir des liens possibles entre différents matériaux, formes, ombres et jeux de lumière, qui sont eux-mêmes le fruit de découvertes impromptues résultant d'un travail d'observation attentive; un engagement artistique qui met en lumière un autre visage de cette importante artiste canadienne.
"Depuis l'automne 2012, j'ai le luxe de pouvoir me perdre en « mode atelier », revisitant des explorations amorcées à temps volé au cours des dernières années alors que je travaillais sur des projets de grande envergure.
La lumière du jour qui envahit mon atelier influence tout ce que j'y fais. Quand il fait grand soleil, je suis en perpétuel mouvement, déplaçant des bouts de matériau réfléchissant dans l'atelier afin d'observer les motifs de lumière qui dansent sur les murs. Par temps couvert lorsque je suis plus portée réfléchir, à lire et à fabriquer ce qui me vient à l'esprit, une subtile variation de la luminosité pourrait attirer mon œil vers un mur ombragé. Les dialogues visuels entre les choses, les juxtapositions inattendues, offrent une lecture onirique.
C'est comme ça que je travaille – sans plan méthodique, mais engagée envers ma propre présence. Il s'agit d'un processus [de réceptivité active,] où je réfléchis en faisant, où j'observe ce que je fais, où je défais ce que je viens de faire, ou alors, où j'ajoute des éléments ou les déplace, afin de voir ce que je fais autrement. Pour cette exposition, je poursuivrai ce même processus, occupant l'espace de la galerie à la manière d'un atelier. C'est une façon de travailler qui souligne le fait que, comme toute chose, le visuel est sans cesse changeant : deux yeux tentent de faire la mise au point de leur propre vision, l'ombre et la lumière se bousculent, et des déclencheurs psychiques ou émotionnels altèrent ce que nous voyons, tels des nuages voilant de façon intermittente le soleil.
Certains paramètres persistent. Je travaille avec des techniques inventées, dessinant dans l'espace ou imitant des insectes pour m'aider à exprimer des notions difficilement saisissables, mieux abordées par une approche intimiste. Je tente de préserver le caractère ouvert du processus, cultivant les questions plutôt que les réponses. Mes matériaux sont façonnés par des systèmes de boucles (des fils passant à travers les uns les autres, créant des boucles; des bandelettes de ruban adhésif formant des boucles autour de mon doigt; du matériel historique remontant le temps pour figurer aux côtés de préoccupations actuelles). Pour des raisons d'échelle, mon corps constitue le dispositif de mesure – il me permet de comprendre où je suis/me trouve ici. Ayant touché à des mètres et des mètres de matériaux, je mesure les distances « à la main », et mes mesures deviennent les vôtres, des repères sensitifs visuels.
Le matériel que je choisis est quelque fois encore presque aussi invisible que l'espace qu'il définit, et parfois bête et omniprésent, comme le ruban adhésif, que j'aime encore beaucoup, en raison de la facilité avec laquelle il peut se transformer en architectures de trous – toujours avec le côté collant à l'extérieur, invitant le désastre. Il y a une futilité libératrice dans l'acte de construire quelque chose sur une période significative de temps, avec des matériaux qui sont voués à la décomposition, et qui en manifesteront les premiers signes de façon presque immédiate.
Quelques-unes des photographies présentées ici furent d'abord conçues en tant qu'efforts préventifs contre cette inévitable perte. Les regarder est un peu comme feuilleter un album de famille – voyez comme ils ont grandi ! Mais les photographies en elles-mêmes, seules, requièrent un autre type de considération, un isolement pictural contre lequel je lutte, découpant des trous dans les photos, ou les perçant, afin de les restituer à la vie spatiale qu'elles reflètent. Lorsque des photographies personnelles s'introduisent en douce, je tente de prolonger leur vie avec des fils métalliques, ou de troubler leurs surfaces séductrices avec un éclairage changeant constamment.
Un cycle de désir et d'apprentissage agit également sur mon choix de lectures. Ces journaux personnels d'explorateurs dont les noms marquent les rivières de mon enfance, dans le centre-sud de la Colombie-Britannique, sont des récits racontés à la première personne des tout premiers contacts entre des non-autochtones et des membres des Premières Nations de la Colombie-Britannique, où les deux points de vue filtrent à travers des couches de sous-texte. Je photographie des pages de ces livres tournés à l'envers, à la lumière du jour, afin de préserver un sens du paysage et de voir les « rivières » dans la typographie, que je surligne à l'acrylique translucide, et qui se perçoivent mieux en angle oblique. Des photographies de mes mains, avec leurs veines proéminentes semblables à des ruisseaux, me rappellent que je suis le paysage. "
- Karilee Fuglem
L'artiste souhaite remercier le Conseil des arts et des lettres du Québec.