John Latour
Kindred Spirits
Avec l’âge et le passage du temps vient un sens de « l’arc narratif » de la vie des gens. Depuis près d’un demi-siècle, j’observe la vie de mes amis et de membres de ma famille se dérouler devant mes yeux comme les pages de romans. J’ai vu vieillir et mourir mes parents; j’ai vu mes sœurs mener des vies mouvementées et poursuivre avec succès leurs carrières; j’ai vu mes filleules grandir et entamer leur vie d’adulte. Et de la richesse de cette expérience est née une curiosité croissante au sujet du passé. Je prends plaisir à me remémorer mon enfance et à me rappeler des événements qui ont précédé la naissance de certains de mes amis et de mes collègues. En même temps, j’ai le désir profond d’acquérir une connaissance intime des premières années de la vie de mes parents et de mes grands-parents. Comment était-ce de vivre – de goûter, de sentir, de ressentir, de penser – il y a cent ans ? J’ai cette envie de mieux comprendre ce qui est venu avant moi. Je souhaite non pas vivre pour toujours, mais plutôt transcender les confins de mon existence limitée, afin de connaître, de tout connaître.
Selon l’historienne de la culture Rosalind Williams, dans notre monde bousculant du vingt-et-unième siècle, où un changement n’attend pas l’autre, notre besoin de comprendre les motifs récurrents de l’histoire est en fait essentiel à notre survie [1]. Ne pouvant échapper aux limitations de notre « courte durée », nous devons satisfaire notre désir de nous unir au passé, notamment en faisant appel à notre imaginaire. à l’aide du travail créatif et évocateur d’historiens, de romanciers et d’artistes, il nous devient possible de situer les récits de nos vies transitoires à l’intérieur du contexte plus large de l’histoire.
Le travail subtile et envoûtant de Latour alimente les feux de notre imaginaire historique. Kindred Spirits réunit trente-cinq œuvres complétées au cours des sept dernières années. Réalisées dans une variété de techniques, elles comprennent entre autres de la sculpture et des travaux textuels et photographiques, et intègrent sans exception des artefacts datant du début du vingtième siècle. Le caractère poignant de ces objets trouvés est intensifié par les modifications et les interventions de l’artiste. Une horloge ancienne marque le temps à l’envers; le texte d’un roman gothique est transformé afin de révéler un message secret; un portrait photographique, représentant son sujet sous la forme d’une figure spectrale, se métamorphose en points de lumière blanche. En effectuant des transmutations qui mettent l’emphase sur la désintégration et la disparition de la matière, Latour met en lumière la connaissance de l’inconnu.
Le travail de John Latour offre des preuves de l’existence de personnes mortes et oubliées depuis longtemps. Grâce à la sensibilité du traitement et de la présentation des traces de leurs vies, de ce qui en reste – forcément fragmenté, partiel et incomplet –, l’artiste attire l’attention sur ce qui n’y est pas. En invitant les regardeurs à remplir les espaces vides, il augmente en quelque sorte leur capacité à faire apparaître les morts. Sa façon d’animer des traces du passé nous permet d’approfondir notre relation avec l’histoire et le monde, et accroît ainsi notre possibilité d’imaginer la place que nous occupons dans l’une comme dans l’autre.
- Scott McLeod, juin 2013
1. Rosalind Williams, « The Rolling Apocalypse of Contemporary History », dans Aftermath: The Cultures of the Economic Crisis, sous la direction de Manuel Castells, João Caraça et Gustavo Cardoso, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 36.
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Cette exposition d’œuvres récentes et en cours de l’artiste montréalais John Latour explore les liens créatifs entre l’art contemporain et un passé en voie de disparition, filtrant à travers des images, des textes et des objets.
Latour applique des mouchetures de peinture blanche à des photographies trouvées d’individus, de groupes d’amis et de familles provenant de la première partie du xxe siècle. L’effacement de ces personnes anonymes évoque la disparition graduelle de tout sujet au fil du temps. De la peinture blanche est également utilisée pour effacer presque tous les mots apparaissant sur des pages de romans gothiques du xixe siècle. De nouvelles histoires sont créées à partir des mots épargnés, et les pages sont suspendues dans des cadres anciens, à la manière de proverbes ambigus du passé.
Kindred Spirits présente aussi deux productions sculpturales, dont le projet continu Apports (2010- ) et Time machine 2 (2009). La première est constituée d’une série d’œuvres qui transforment des objets d’époque trouvés en des sculptures faisant référence au phénomène de l’apportation – l’apparition soudaine de petits objets qui proviendraient de l’au-delà, apportés par des esprits en visite lors de séances de spiritisme. La dernière est une horloge ancienne installée à l’entrée de l’exposition. De minute en minute, d’heure en heure, les aiguilles de cette horloge modifiée avancent (ou reculent) dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Comme si elle exauçait un vœu, elle invite les visiteurs à remonter dans le temps.
La combinaison et la juxtaposition, ici, d’images d’époque, de textes fragmentaires et d’objets occultes est un appel ouvert aux visiteurs regardeurs, les invitant à créer leurs propres liens entre les photographies, les textes et les objets, sans liens apparents, de cette exposition.
Kindred Spirits est accompagnée d’un texte commandé au commissaire d’art contemporain et écrivain torontois Scott McLeod. Directeur et commissaire responsable de Prefix Institute of Contemporary Art, McLeod est aussi rédacteur en chef et directeur de publication de Prefix Photomagazine depuis 1999.
Le vernissage de Kindred Spirits aura lieu le 22 juin (de 14h30 à 17h30), et comprendra le lancement torontois de Rétrofictions (2012). Ce livre d’artiste expérimental et collaboratif présente six œuvres photographiques de Latour aux côtés de six œuvres de fiction des auteurs invités Jennifer Allen, Marina Endicott, Cynthia Imogen Hammond, Lea Nakonechny, Eduardo Ralickas et Jean-éric Riopel. Bienvenue à tous. Rétrofictions est distribué à Toronto par Art Metropole, et à Montréal, par la librairie Formats.
John Latour est un artiste visuel qui vit et travaille à Montréal. Ses œuvres ont été exposées à travers le Canada et à l’étranger. Il a bénéficié d’expositions personnelles à la Galerie Karsh-Masson Gallery (Ottawa), à la Galerie Glendon Gallery (Toronto), au MacLaren Art Centre (Barrie) et à la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain (Montreal). Latour est détenteur d’un baccalauréat en beaux-arts (Université d’Ottawa), d’une maîtrise en bibliothéconomie - MLIS (Université McGill) et d’une maîtrise en histoire de l’art (Université Concordia). Son travail fait partie de collections privées et publiques au Canada et aux états-Unis.