Huit heures, mars 2010. L’air est poussiéreux et déjà âcre de carburant d’avion et d’obus explosés. Un convoi d’aide humanitaire doit se déployer à pied depuis la base opérationnelle avancée Masum Ghar, dans la province de Kandahar, en Afghanistan, pour atteindre un village à proximité. Les hommes doivent ensuite rejoindre un convoi de patrouille de VBL 25 et de camions de l’armée nationale afghane. Attachant son casque, Maskull Lasserre s’enquiert du niveau de danger de la mission, sur une échelle de 1 à 10.
Participant alors au Programme d’arts des Forces canadiennes, avec le régiment d’infanterie légère Princesse Patricia, Lasserre souhaitait vivre un maximum d’expériences durant ses deux semaines. Or, il souhaitait également connaître les risques de revenir sans jambes. Mais la réponse blasée a toujours été « c’est occupé…/ça bouge… » Telle est notre propension à normaliser, même devant une réalité aussi extrême que la guerre, où l’air stérile de l’antiseptique des unités de traumatologie vous rappelle qu’il s’agit de tuer ou d’être tué. Rien n’est sans conséquence.
Ce constat a hanté Lasserre pendant des mois après son retour. Aux prises avec une conscience exacerbée des capacités de son corps intact, l’artiste a dû lutter pour trouver un sens profond et véritable à sa vie à Montréal. Il lui a fallu trois ans pour faire un retour sur cette expérience. Périmètre est sa première tentative.
Poussant de l’avant des thèmes établis de sa pratique, Lasserre s’aventure en-dehors de sa zone de confort. à la différence de son travail de soustraction, tels ses squelettes exquis sculptés dans des outils ordinaires (Fable, PFOAC, Toronto, 2012), l’artiste agit ici comme ingénieur, construisant des compositions formelles « sans compromis ». Et si ces œuvres se situent en continuité avec son projet de repenser le potentiel de la matière à influer sur le monde, Lasserre n’a jamais introduit autant de distance entre sa création et les idiomes sûrs de l’art – ce qu’il décrit comme des « produits transformés». Ces quatre œuvres constituent des absolus, elles sont indubitablement sincères.
Peut-être est-ce en raison de son militarisme mécanique, peut-être est-ce pour autre chose, mais ce nouveau projet de Lasserre rappelle celui des futuristes. Maskull Lasserre est allé en Afghanistan parce qu’il aime se confronter à l’inconfort, parce qu’il aime voir ce que recèle le matériel une fois poussé au-delà de la convention, un matériel exposant une nouvelle valeur qui questionne la notion de valeurs implicites existantes. En cela, Lasserre fait écho à l’appel futuriste « Sortons de la sagesse comme d’une gangue hideuse », et à leur déclaration « il n’y a plus de beauté que dans la lutte ». Or, les futuristes ont conçu leur art pour armer les masses, proposant, ce faisant, une nouvelle arme.
Un siècle plus tard, le projet de Maskull Lasserre en est un de désarmement. Façonnés avec l’impeccable souci pour lequel Lasserre est connu, les objets illusoires, parfaitement crédibles, de Périmètre neutralisent, au moyen d’une étrange rencontre, « la grande machine normalisatrice » qu’est l’humanité.
Que le travail de Lasserre devienne normalisé en tant que production artistique expose sa tragédie implicite. Et c’est aussi la tragédie de la guerre. Notre propension résolue à normaliser, en tant que mécanisme de survie, réduit à la fois l’humain et la machine à des buts singuliers, révélant, comme le suggère le philosophe Paul Virilio, que le progrès est réellement un sacrifice consensuel. Et, parole de soldat, ceci est le sacrifice que les civils ne supportent pas.
Périmètre, en revanche, propose une confluence potentielle, un espace d’empathie dans lequel Lasserre désarme notre volonté de normaliser, nous permettant de considérer la multitude de façons d’aller à la rencontre du monde.
- Mike Landry
L'artiste tient à remercier le Conseil des arts et des lettres du Québec pour son appui.