Flatland: Les Mutations Sérielles de Matthew Biederman (axe - z)
Dans son essai Une archéologie de l'écran d'ordinateur (1995), Lev Manovich commente la fin d'une typologie médiatique centenaire et les tendances au « cadrage » qui lui sont associées. Ancrée dans notre réalité visuelle depuis la naissance du cinéma, l'ère des « écrans dynamiques » (soit l'ère des images mobiles, non-interactives) a connu sa fin face à la multiplication des fenêtres sur les ordinateurs personnels. La nouvelle réalité visuelle quotidienne est celle de l'espace des ordinateurs, des guichets automatiques et des tableaux de bord de voitures. Bien que beaucoup ait changé au cours des deux décennies depuis la parution de l'étude de Manovich sur nos habitudes visuelles - nous naviguons maintenant d'un médium à un autre sur nos téléphones intelligents et regardons des films sur des navigateurs Web - l'écran retient toujours, incontestablement, notre attention.
Mutations sérielles (axe z) de Matthew Biederman est une installation qui joue à la fois sur la primauté de l'écran et sur la perception qu'en ont les spectateurs. En entrant dans l'espace, le spectateur perçoit dès lors une impression lenticulaire intitulée Cube rouge et bleu. L'illusion de profondeur encodée sur la surface de cette image n'est qu'un avant-goût de ce qui est à venir. La grande salle qui suit est vide, à l'exception du mur du fond qui agit comme surface de projection. Bien que l'impression papier et la projection ne partagent pas le même médium, leur contenu est résolument synchronisé : tous deux affichent une illusion optique due à une illustration isométrique du 19ème siècle, soit un cube de Necker.
Ce qui allait être connu sous le nom de cube de Necker a d'abord été signalé en 1832 par le cristallographe suisse Louis Albert Necker dans The London andEdinburgh Philosophical Magazine and Journal of Science. Il s'agit d'une esquisse d'un cube dont seules les arêtes sont visibles. Cette perspective rayon x de la géométrie du cube confond à la fois l'œil et de l'esprit. Necker décrit cette confusion visuelle comme «un changement soudain, involontaire, dans la position apparente d'un cristal ou d'un solide ». L'effet ressenti est effectivement très puissant. L'orientation du cube, qui change à vue d'œil, a quelque chose d'angoissant puisque le solide semble exister dans un lieu d'indétermination visuelle.
L'œuvre Cube rouge et bleu et la projection misent sur cette incertitude. L'imprimé lenticulaire représente un seul cube à faces rouges et bleues qui varient en opacité et dont la masse semble tourner de 90 degrés en fonction du mouvement et de l'angle d'observation. Ces facteurs se combinent pour masquer la « vraie » dimension du cube et annoncent la véritable intention de Biederman. En amplifiant la densité de façon considérable, la projection présente une grille de cubes en rotation et invite le spectateur à en jauger le résultat. En plus de tourner sur des axes différents, les cubes traversent une série de palettes de couleurs et de degrés de transparence différents. Les facettes de certains cubes sont supprimées par des mouvements, présentant une texture supplémentaire. Le résultat de ces modulations est que l'ensemble fait transition entre un treillis, une surface, et un motif bidimensionnel.
La chorégraphie du cube de Biederman interroge habilement les surfaces sur lesquelles elle se produit. Son contenu fluctuant suggère la profondeur, puis la nie de façon ludique en revenant au bidimensionnel. Alors que Manovich a signalé la fin des « écrans dynamiques » il y a deux décennies, l'obsession actuelle pour l'interactivité, la navigabilité, et la pluralité des écrans désarme sans doute le spectateur contemporain face à l'illusion d'optique qui anime Les Mutations Sérielles (axe-z ). Les manipulations géométriques de Biederman nous amènent à un état perceptuel qui nous est étranger; à savoir si ces animations ont réellement de la profondeur. La question reste irrésolue puisqu'il demeure impossible de s'ancrer « dans » l'image. Dans son ouvrage dédié à la métaphore de la fenêtre telle qu'employée dans les médias, Anne Friedberg écrit « l'espace de l'écran est un espace virtuel, un ailleurs qui occupe une nouvelle dimension ». Les animations de Biederman rejettent catégoriquement cette proposition.
- Greg J. Smith – traduit de l'anglais par Léah Snider
L'artiste remercie l'Institut arts, cultures et technologies (iACT), Université de Montréal.