JOHN PLAYER
Le travail de John Player présente une vision sobre et détachée de la culture de surveillance. Une incessante défense par rapport à une menace inconnue mais constante est dévoilée dans des images glanées dans les médias de masse, dans les journaux et dans des archives, pour la plupart trouvés sur Internet. Ces images ont en commun une sorte d’esthétique du pouvoir et du contrôle, qui est aujourd’hui courante et même attendue, ainsi qu’une inertie paradoxale. L’obsession de la vitesse et du contrôle de la culture dominante est confrontée à la lenteur de la peinture; la banalité et la distraction de la technologie sont ici mises au défi par le soin de l’art pictural.
Ce travail spartiate, quelque peu minimal, présente une dualité de points de vue intérieur et extérieur d’infrastructures de surveillance, donnant une impression de la mécanisation interne d’un système, et de son expression physique externe. Dépourvu de représentations d’êtres humains, et attirant l’attention sur la structure anonyme de l’économie de la défense, il indique le réseau exploité dans une politique de domination, et insiste tout particulièrement sur la banalité du système bureaucratique mis en place pour administrer et financer ce réseau. L’invisibilité et le caractère secret de l’omniprésente sécurité et de la surveillance de masse nourrissent cette production, créant un environnement de déception, auquel s’ajoute le caractère déceptif et l’illusion de permanence de la discipline de la peinture.
Influencée par le concept de Paul Virilio de la « machine de vision » – des modes de vision devenant détachés, et avec eux, nos ultimes ambitions de progrès – la peinture de Player tente de proposer une compréhension humaine du climat insidieux de la militarisation croissante et de l’automation de la perception. L’idée de l’œil mécanisé, tout particulièrement la vue aérienne, est au cœur de cette production. Son développement dans la cartographie de terrains a finalement été absorbé par le militaire, dans le bombardement aérien d’ennemis étrangers. Cette vue, accélérée aujourd’hui par les fonctionnalités optiques de Google Earth et de Streetview, par les satellites et les drones, demeure un panoptique de pouvoir, déshumanisant les sujets ou les cibles et exposant la colonisation du monde entier. La peinture de Player ralentit la composante visuelle de l’événement numérique en temps réel, et révèle la délibération et le processus. La sténo picturale austère, réalisée avec une préciosité presque gauche, présente la nature séduisante d’une peinture rendue étrangement troublante par le dévoilement d’outils de pouvoir intrinsèquement immunisés contrele dissentiment.
À l’époque des données de masses, l’on peut retracer l’anxiété résultante des surveillés aux surveillants – des sources cachées du public, classifiées dans des documents et livrées en langage codé –, la peur de l’un alimentant celle de l’autre. Les perspectives alternées de la vue sans fin de trois-quarts et l’observation frontale au niveau de la rue suggèrent un point de vue de vidéosurveillance, or les références génériques demandent qui surveille qui; une surveillance de la surveillance suggère un échantillonnage de la propre culture voyeuriste d’un système et la domination implicite de l’écran. Le changement temporel de ces peintures, avec l’image en boucle figée, laisse au regardeur l’impression illusoire d’une technologie qui fait défaut.
La lecture à froiddu dispositif de sécurité n’offre aucune information sur son fonctionnement interne, alimentant un secret de Polichinelle et une culture de paranoïa. L’omniprésent mécanisme de surveillance, tourné ici vers l’intérieur, met en évidence sa composante spectacle et sa doctrine. Disséquant la fascination humaine pour la domination et le voyeurisme, tout en étant captivé parle dispositif lui-même, Player perturbe ce spectacle déshumanisant. Sa réflexion critique au sujet d’une culture de vitesse reprend le récit de la surveillance, créant une résistance à la manière normalisée dont la culture dominante observe le monde.
Né à Victoria, en Colombie-Britannique en 1983, John Player détient un baccalauréat en arts plastiques de l'Université Concordia et vient de terminer sa maîtrise en peinture et dessin à la même institution. Il a participé à diverses expositions collectives à Montréal, où il vit et travaille depuis 2004. A l'été 2015, John participera au Symposium de la Baie St- Paul, ainsi qu'à une résidence d'artistes dans l'État de New York intitulée Art Omi. Son travail figure dans de nombreuses collections privées et dans les collections corporatives de Michael inc. et le Groupe financier BMO. La galerie Pierre-François Ouellette art contemporain présentera à Montréal une exposition solo de son travail récent en mai 2015.
MICHEL HUNEAULT
10 minutes à Tohoku est le volet vidéo de Post Tohoku, projet d'art documentaire transmédia, qui nous amène au Japon un an après le passage du tsunami de mars 2011. Le 11 mars cette même année, la côte pacifique de Tohoku au Japon a été frappée d’une triple catastrophe : tremblement de terre, tsunami, incident nucléaire. 15 879 morts, 6130 blessés, 2698 disparus, 128 884 édifices complètement détruits, 268 905 à moitié détruits, et 691 766 autres partiellement endommagés. Comment vivre près ou à l’intérieur même d’un paysage si traumatisé? Comment représenter et imaginer les impacts à long terme d’une telle catastrophe, pour en tirer du sens et des leçons? Est-ce que Tohoku se reconstruira, tant physiquement que dans notre imaginaire? Michel Huneault s'est rendu dans la région 14 mois après les événements avec ces questions en tête. 10 minutes à Tohoku est un montage de plans méditatifs tournés sur 250 km de la côte touchée par le tsunami, de Fukushima à Kesennuma.
Avant de se dédier à la photographie en 2008, Michel Huneault a travaillé en développement international, une carrière qui l’a mené dans une vingtaine de pays, dont une année entière en Afghanistan, à Kandahar. Il détient un M.A. en Études latino- américaines de l’Université de Californie à Berkeley où il fut un Rotary World Peace Fellow, étudiant le rôle de la mémoire collective suite à un traumatisme de grande ampleur. À Berkeley, il a également été l’élève et l’assistant-professeur du photographe Gilles Peress, membre de l’agence Magnum. Il a ensuite été son apprenti à New York. Aujourd’hui sa pratique se concentre sur les problématiques liées au développement, aux traumatismes personnels et collectifs et aux géographies compliquées.