Roberto Pellegrinuzzi: TRAJECTOIRES

7 Septembre - 19 Octobre 2024
« Le véritable objet de l'art, c'est de créer des agrégats sensibles. »
-Gilles Deleuze

"Nourrie d'une curiosité et d'une rigueur scientifique, voire compulsive, envers les processus du faire image et ce qu'ils révèlent quant à notre manière de percevoir le monde, la pratique artistique de Roberto Pellegrinuzzi n'a de cesse d'en questionner les atours et les moyens. Depuis ses tout débuts, l'artiste met en lumière les dispositifs de construction de l'image, dispositifs échafaudés et articulés à travers des techniques et des savoirs spécifiques. Disséquées, collectionnées, recadrées ou architecturées, photographie et installation échangent ainsi chez cet artiste inclassable leurs formes et leurs manières jusqu'à brouiller les frontières propres à leur genre. Cette mise en espace singulière de la photographie va permettre à l'artiste de révéler des réseaux de significations entre les différentes images et d'aborder la représentation comme territoire où convergent réalité et fiction, tout en inscrivant le médium photographique dans une réflexion plus large sur la matérialité et l'objectivité de l'image.

 

Avec Trajectoires, Pellegrinuzzi gagne une fois de plus le pari de redéfinir les paramètres de la photographie, recourant cette fois-ci au dessin. D'une continuité éloquente - quoique surprenante - avec l'ensemble de son œuvre, l'emploi du dessin par Pellegrinuzzi se traduit ici tout simplement par la boucle, telle un gabarit prenant forme et relief sous les innombrables passages du crayon de plomb. Ultime agent liant de ce corpus, la ligne guide peu à peu la main de l'artiste vers une sorte de déambulation haptique, faisant naître des croisées, des points de rencontre décisifs où se sédimente les couches de graphite. Ainsi contraint par ce vocabulaire formel minimaliste et un protocole de réalisation presque monastique, le geste acquiert paradoxalement une autonomie qui prend racine dans le procédé même de sa mise en forme, rythmé par la répétition et l'accumulation. Mu par cette gestuelle envoûtante, Pellegrinuzzi laisse à l'image le loisir de prendre corps : chaque trait supplémentaire accentuant une saillie, chaque passage affinant les contours d'une concrétion. Ou est-ce là une rainure creusée par la mine dans le papier ? La fonction matricielle historiquement associée au dessin entre ainsi en résonance avec les recherches de Pellegrinuzzi sur la matérialité de l'image. Révélées par les multiples passages ininterrompus du trait, les boucles louvoient et s'amoncellent inexorablement, le graphite s'accumulant sur la surface du papier de manière à dévoiler la dimension sculpturale de l'image. Captée par une caméra parfaitement maîtrisée, la lumière se diffracte dans les sillons de plomb avant d'être capturée par le capteur numérique. Chaque dessin est ainsi photographié et magnifié, puis enfin, question de boucler la boucle, transposé sous forme de sculptures enduites d'une patine au graphite. Des trajectoires qui nous font passer du dessin à la photographie, de la photographie à la sculpture, et de la sculpture au dessin, Pellegrinuzzi mettant ici littéralement en relief les dispositifs de construction du regard en rendant tangible la matérialité incontestable de l'image, usant une fois de plus de la photographie pour ce faire.

 

Si on peut certes percevoir dans ce nouveau corpus des références éloquentes au lemniscate, la coïncidence n'est pas fortuite, l'artiste expérimentant dans l'acte répété et minutieux du dessin une maïeutique et une temporalité toute autre : celle, lente et infinie du faire image. La notion de temps y est d'ailleurs centrale, l'art lui-même exigeant patience, dévouement, concentration. Car la pratique de l'artiste en est ici une de méditation et c'est par l'exercice laborieux et parfois pénible de la réitération du même que naît la joie, celle d'avoir la révélation ultime du geste artistique.

 

Avec Trajectoires, Pellegrinuzzi pousse encore plus loin sa quête artistique en se risquant à l'exercice du dessin, comme un retour à l'essence même de l'image et de ses faux-semblants. Empruntant à l'esquisse sa dimension fondamentalement performative, l'artiste se fait chevaucher à l'infini l'organique et le cartésien en une pratique à la fois intuitive et méthodique capable de générer une collusion du corps et de l'esprit. Un regard encore et toujours intelligent et sensible de l'artiste sur la représentation, mais plus encore sur notre propre perception du monde. Un regard ici infusé d'une modestie et d'une maîtrise évidentes, révélant la vitalité d'un artiste au sommet de son art." Anne-Marie Dubois

 

Roberto Pellegrinuzzi

Roberto Pellegrinuzzi est né à Montréal en 1958. Il vit et travaille  à  Montréal et Bolton-Est.

Depuis 1985, il a présenté plus d'une cinquantaine d'expositions individuelles au Canada et en Europe. Il a participé à de nombreuses expositions collectives au Canada, en Europe, en Inde, au Mexique. Ses œuvres font partie de nombreuses collections publiques et privées dont le Musée des beaux-arts du Canada, Le Fonds National d'art contemporain de France, La Maison Européenne de la Photographie (Paris), le Musée des beaux-arts de Montréal, le Musée d'art contemporain de Montréal, le Musée national des beaux-arts du Québec, l'Hôtel Gault (Montréal) et le Crédit Lyonnais. Il a réalisé à ce jour plus d'une quinzaine d'œuvres d'art public dans le cadre du Programme québécois d'intégration des arts à l'architecture et à l'environnement.

 

Anne-Marie Dubois

Anne-Marie Dubois détient une maitrise en histoire de l'art avec concentration en études féministes et gravite dans le milieu des arts actuels depuis plus de 15 ans. Sa passion pour l'art contemporain l'a mené à œuvrer au sein de différents organismes culturels au Québec et on peut lire régulièrement ses écrits dans divers magazines d'art actuel et catalogues d'exposition. Elle siège actuellement au comité éditorial de la revue Esse arts + opinions tout en y assurant le mandat de coordonnatrice de production.

 

La galerie remercie la SODEC pour son soutien à la production de cette exposition.