Aaron McIntosh : The Gloaming

25 Janvier - 1 Mars 2025

Un vert si sombre qu'il glisse vers le noir. Une forêt grouillante de formes qui, de loin, semblent mortes et qui, à y regarder de plus près, sont vivantes, mais dans des tons très sombres. S'agit-il d'ombres ou de plantes, de corps ou d'arbres ?

 

« Au cours des premiers mois de la pandémie, j'ai fait une série de rêves nocturnes dans lesquels je voyais des personnages de ma vie - amis, amants, famille, personnes inconnues - apparaître et disparaître au milieu d'un sombre bosquet de plantes. Cet espace n'était pas malveillant, ni corrompu ou triste, mais plutôt obscur et obsédant. Au cours de cette même période, je suis tombé par hasard sur une carte postale du tableau Sonnenblumen (1911) d'Egon Schiele, avec sa dense colonne de tournesols qui se replient sur eux-mêmes, les fleurs écrasées sous des feuilles vertes foncées. Je l'ai épinglée sur le mur de mon atelier pour continuer à réfléchir aux machinations psychologiques qui se cachent derrière mes rêves.

 

Quelques années plus tard, alors que je me promène dans la ruelle verte la plus proche de chez moi, un chien sans laisse se jette sur moi et son propriétaire me traite à plusieurs reprises de pédé, tout en menaçant de me frapper. À l'été 2024, mon partenaire et moi nous sommes fait jeter des œufs par des adolescents ricanants qui passaient à vélo devant le centre LGBT de la 7e avenue, dans le centre de Manhattan. Ces incidents homophobes me paraissent décalés, une relique d'avant les années 2000, mais ils commencent à arriver fréquemment à la plupart des amis homosexuels que je connais. Les lois anti-trans et les statuts législatifs issus d'une panique liée au genre apparaissent partout aux États-Unis et se répandent au Canada au Nouveau-Brunswick, en Alberta et au Manitoba. Depuis 2020, nous avons assisté à une érosion des protections des communautés 2SLGBTQI+ en Amérique du Nord et dans le monde entier, franchissant le Rubicon des progrès sociaux post-Libération gay et de l'autodétermination individuelle. Dans ce nouveau corpus de courtepointes et de collages, je réagis de manière lugubre à cet assombrissement culturel et politique de notre époque pour les droits des personnes homosexuelles.

 

Ces rêves de pandémie me sont revenus à l'esprit et j'ai commencé à imaginer une retraite en forêt ou une échappatoire à toute cette phobie et animosité. Le jardin a toujours été un endroit où je pouvais m'isoler, mais comme je n'en avais pas à Montréal, je me suis dirigé vers le parc du Mont-Royal et les espaces sauvages moins bien entretenus autour de la ville. Je me suis familiarisé à nouveau avec l'heure bleue - ce moment du crépuscule où le voile de la nuit tombante rend indiscernables les distinctions entre les silhouettes et le paysage - en tant qu'instant chargé d'incertitude, de danger et de possibilité érotique.

 

Au cours des six dernières années, j'ai recherché les liens entre les personnes queer et les plantes à travers l'histoire de l'herboristerie. En parcourant les manuscrits médiévaux sur les herbes, les remèdes populaires des Appalaches, les guides de médecine indigène et les brochures sur la reproduction de l'ère hippie, j'en ai répertorié plusieurs centaines comme ayant des usages queer spéculatifs. Mais notre parenté avec les herbes est probablement plus profonde. Comme l'a fait remarquer l'historien gay Arthur Evans, les homosexuels et les sorcières du passé se fiaient aux propriétés curatives, psychoactives et vénéneuses de certaines plantes, qu'ils considéraient comme une forme de communion trans-espèces. Nombre de ces plantes qui protégeaient les « queerfolk », telles que le chêne, le sureau, l'angélique ou les oignons, ont été cousues dans ce corpus d'œuvres - telles des amulettes protectrices.  Émanant comme des ombres en organza à l'arrière-plan  ou des protubérances en patchwork au premier plan, cette densité de talismans végétaux obscurcit et abrite les images de corps vulnérables tirées de diverses archives gaies et queer de collections personnelles et publiques telles que Les archives gaies du Québec ou les ArQuives à Toronto.

 

The Gloaming revendique un espace pour des possibilités nuancées, reconnaît les moments où le camouflage et l'exposition se chevauchent. Ces œuvres sont à la fois de fabrication domestique (homespun) et charnelles ; elles soulignent la nature frénétique de la culture du cruising : des yeux qui s'élancent, des formes qui émergent dans et hors de la reconnaissance, comme dans la grille de l'application de rencontre, comme dans les motifs des courtepointes. De nombreuses générations d'homosexuels ont trouvé refuge dans le cruising, qui déplace l'inhibition sexuelle du cadre légal de la maison vers la rue, le parc, les bois. De la même manière que les œuvres plus sombres entourent la série autoportante Entanglement comme un crépuscule qui tombe, je vois la pénombre comme un mince voile de protection qui pourrait être nécessaire pour survivre à cette époque. Même dans l'obscurité - peut-être surtout dans l'obscurité - les queers se trouvent toujours les uns les autres, construisent un contre-monde où le plaisir émerge et s'épanouit." -AM

 

Biographie

Aaron McIntosh est un artiste pluridisciplinaire et aussi un artisan de courtepointes de quatrième génération. Son travail explore les intersections de la culture matérielle, de la tradition familiale, du désir sexuel et des politiques queers. Il a participé à de nombreuses expositions individuelles et collectives, dont les plus récentes sont Entanglements à la Northeastern University et Radical Tradition : Quilts and Social Change au Toledo Museum of Art. Depuis 2015, McIntosh gère Invasive Queer Kudzu, un projet communautaire LGBTQ+ de narration et d'archivage à travers le sud des États-Unis. En 2020, il est lauréat de la bourse United States Artists. Il a également reçu une bourse du Virginia Museum of Fine Arts en 2017, ainsi que deux bourses Windgate en 2006 et 2015 du Center for Craft. Son projet actuel de recherche-création, Hot House/Maison Chaude, a été soutenu par une bourse de développement de la recherche du CRSH pour la période 2020-2023. Il a effectué des résidences à la Oak Spring Garden Foundation, au Banff Centre, à la Haystack Mountain School of Crafts et au Virginia Center for Creative Arts. Ses écrits critiques ont été publiés dans le Brooklyn Rail, Hyperallergic, le Surface Design Journal et le Journal of Modern Craft. Il vit et travaille actuellement à Montréal où il est professeur associé et coordinateur du programme Fibres et pratiques matérielles de l'Université Concordia.