La galerie Pierre-François Ouellette art contemporain est fière de présenter une nouvelle exposition solo de Jérôme Fortin. L'exposition se déroulera du samedi 13 février au samedi 3 avril 2010. Suite à sa participation dans des expositions au Pretoria Art Museum (Afrique du sud) et à la Galeria Toni Tàpies (Barcelone), Fortin dévoilera une nouvelle série d'oeuvres incluant des gravures créées dans le cadre d'une résidence avec le maître imprimeur d'Antoni Tàpies, Joan Roma.
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Continuum de Jérôme Fortin
par Denis Longchamps, PhD, Histoire de l’art
«La présente exposition nous offre les créations de la dernière année de Jérôme Fortin. J’ai eu le privilège de pouvoir discuter avec l’artiste à son atelier et de voir, en exclusivité, son œuvre Continuum, de même que les deux autres corpus qui l’accompagnent ici.
Le premier corpus, Série noire faisait partie de l’exposition solo, Discarded Beauty, présentée au Musée d’art de Pretoria, en Afrique du Sud. Le deuxième offre les quatre gravures que Fortin a réalisées lors de sa résidence d’artiste à l’atelier d’Antoni Tàpies, à Barcelone en Espagne. D’entrée de jeu, Fortin explique que Continuum est un hommage à Morton Feldman (1926-1987), compositeur et musicien expérimental influencé par John Cage (1912-1992) et dont la musique est parfois considérée comme minimaliste. Le processus artistique de cette œuvre d’envergure s’est enclenché à son retour d’Afrique du Sud.
Série noire se décline en douze tableaux; des collages en noir et blanc créés à partir de bandelettes de papier pliées incluant des partitions musicales vierges, des bandes dessinées japonaises et des photocopies complètement noires. Le rythme harmonieux des triangles, qui s’intercalent avec régularité, est ponctué par les lignes irrégulières des papiers imprimés et des manquements de couleurs dans les photocopiés en noir. Ces derniers créent des nuances de gris qui ne sont pas sans rappeler les tableaux noirs marqués à la craie. Mais cette série a plus en commun avec le monde du cinéma d’une autre époque qu’avec les salles de classe. Les bandelettes sont d’abord réalisées par pliage sur du ruban adhésif créant un motif triangulaire qui se répète infiniment et que l’artiste conserve enroulées comme des pellicules. Elles sont ensuite étudiées pour leurs qualités formelles puis coupées, assemblées et collées en tableau. Série noire se veut la dernière de la série des Écrans dont les grands formats éphémères furent présentés au Musée d’art contemporain de Montréal en 2007.
L’œuvre de Fortin, en particulier la série Solitudes présentée en 2002, avait été mise en parallèle avec l’art optique et cinétique des années 1960 par l’historienne de l’art Rose Marie Arbour[1]. Dans la série Écrans et en particulier la Série noire un parallèle avec l’art minimaliste de la même période me semble tout aussi évident que ce soit avec les tableaux à bande de Frank Stella (en couleurs ou monochromatiques en noir) ou dans la répétition du motif, y compris le triangle, avec l’œuvre du sculpteur Carl André auquel je reviendrai sous peu.
Série noire fut présentée ai-je dit pour la première fois à Pretoria à l’automne 2009. À son retour, Fortin se lance dans la création d’une œuvre d’envergure. Sans m’en dire plus, dans son atelier, Fortin dépose des boîtes d’archives au sol en deux rangées bien ordonnées et les ouvre. Le placement des boîtes, qui n’est pas sans rappeler ici encore l’œuvre minimaliste de Carl André, par exemple Equivalent VIII (1966), nous paraît fidèle au sens d’organisation retrouvée dans plusieurs œuvres précédentes de Fortin, mais leur contenu m’étonne. Dans les boîtes, on retrouve pêle-mêle des milliers de petites sculptures identiques.
Créée à partir de boîtes de conserve et d’un ouvre-boîte manuel où la forme du triangle est répétée tout le tour du couvercle avec régularité, chaque sculpture et leur ensemble témoignent d’un processus laborieux et répétitif, voire même obsessif. Leurs dispositions dans plusieurs boîtes d’archives accentuent l’idée de la démesure, comme certaines musiques de Feldman qui durent plusieurs heures, tel que For Phillip Guston (1984, 4 heures) ou String Quartet II (1983, 5 heures). L’installation au sol permet au visiteur de marcher autour de l’œuvre qui n’a ni début ni fin, tout en étant contenue. Le titre même de l’œuvre, Continuum suggère cette idée de l’infini, un concept qui n’était pas étranger aux modernistes, ni aux artistes d’aujourd’hui, pensons ici à la Colonne sans fin (1937-1938) de Brancusi (1876-1957) reprise, entre autres, par Pravdoliub Ivanov dans son Monument to the Unknown Washer Women (Luxembourg, 2005) ou encore par Kristof Kintera avec Do it Yourself (After Brancusi)(Prague, 2007). L’œuvre de Brancusi n’est pas la seule citée par des artistes actuels avec des objets et matériaux du quotidien. Dans le même ordre d’idée, l’artiste mexicain José Davila reprend la série "Stacks" de Donald Judd (1928-1994) avec des boîtes de carton et des bouchons de bouteilles (Sans titre, 2007).
L’utilisation de matériaux communs ne suggère pas nécessairement une approche écologique dans une idée de récupération, surtout s’ils n’ont jamais été utilisés, mais deviennent dans les mains de Fortin un médium à explorer pour ses valeurs formelles et esthétiques. En ce sens, le travail de Fortin rejoint celui de l’américaine Tara Donovan, qui utilise entre autres pour leurs qualités formelles des verres à café en styromousse et des pailles de plastique dans la réalisation d’œuvres d’envergure ou des élastiques pour créer des plaques à graver.
Mais la pièce Continuum de Fortin suggère aussi une nouvelle approche, plus libre, dans le désordre du contenu des boîtes. Une approche que l’on retrouve aussi dans deux des quatre gravures réalisées à l’atelier de Tàpies. Alors que deux gravures reprennent le motif des triangles rappelant ceux de la Série noire, les deux autres semblent vouloir annoncer une nouvelle direction. Ces deux gravures se détachent des corpus précédents, mentionnons ici les Tondos (2003) qui s’inscrivaient dans des processus laborieux de collages, pour nous offrir des œuvres gravées aux formes raffinées créées avec une économie de moyen étrangère jusqu’alors dans l’œuvre de Fortin. Ici, quelques fils de couleurs qui s’entrecoupent et un ou deux morceaux de papier japonais déchirés ont suffi. Dans l’œuvre globale de l’artiste, ces deux œuvres initie un dialogue entre le minimaliste et l’art actuel tant dans le processus que dans leur interprétation.
Mon regard se pose alors sur les boîtes qui composent Continuum et je me demande si l’artiste n’a pas décidé « d’archiver » les longs processus auxquels ils nous avaient habitués pour prendre une nouvelle direction et s’engager dans la recherche d’un nouveau langage visuel plus épuré où l’esthétique formelle domine toujours dans un propos d’une élégante beauté. Ce sera sûrement à suivre…»
-DL
[1] Rose Marie Arbour, « Jérôme Fortin, éloge de la fragilité et des croisements », Espace, 62 (Hiver 2002-2003) : 45-46.
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Jérôme Fortin est né à Joliette en 1971, il vit et travaille à Montréal. Depuis 1996, il a présenté plus d’une douzaine d’expositions personnelles à Prague, Pretoria, Tokyo, Paris, Toronto et Montréal. Il a participé à de nombreuses expositions collectives à Istanbul, Berlin, Bologne, Bruxelles, Paris, Cuba, Barcelone, Beijing et New York. Plusieurs résidences d’artiste sont à son parcours, notamment au World Financial Center Arts and Events (New York), Fondation Christoph-Merian (Bâle), Fonca (Mexico D.F.), la Cité internationale des arts (Paris), Ludwig Foundation de Cuba (La Havanne), Tokyo Wonder Site (Tokyo) .
En 2007, les travaux de Fortin ont fait l’objet d’une exposition personnelle au Musée d’art contemporain de Montréal (MACM). Il a reçu en 2004 le Prix Pierre-Ayot de la ville de Montréal. Ses œuvres figurent dans plusieurs collections dont celles du Musée d’art contemporain de Montréal, Musée national des beaux-arts du Québec, Musée de Joliette, Pretoria art museum, National Museum of China, Bibliothèque et archives nationales du Québec, Banque d’oeuvres d’art du Conseil des arts du Canada, Ville de Montréal, d’entreprises et particulières.
Pour plus de renseignements sur le travail de Jérôme Fortin consulter : www.jeromefortin.com
Jérôme aimerait remercier Natasha Hébert, Toni Tàpies, Caroline Pierret, Stéphanie Templier, Carlos Calado, Hannelie DuPlessis,Valery Hiptong, Berco Wilsenach, Pierre-François Ouellette, le Pretoria art Museum, la Galeria Toni Tàpies, Joan Roma, Takeshi Motomiya, le Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et Le haut-commissariat du Canada à Pretoria.