« Ma série la plus récente, La maison de fous, est une réflexion sur l’héritage de l’institutionnalisation colonialiste des peuples autochtones du Canada. M’inspirant de la pensée de Michel Foucault et des œuvres de Francis Bacon et de Francisco de Goya, je cherche, avec La maison de fous, à représenter les luttes littérales et allégoriques entre gardiens et détenus dans des espaces claustrophobes d’internement, en exposant l’impact psychologique de l’incarcération sur les peuples autochtones.
Depuis la formation politique du Canada, les peuples autochtones ont été soumis à des politiques d’incarcération et d’institutionnalisation. En 1876, la Loi sur les Indiens a contraint les peuples autochtones à respecter des frontières et des catégories coloniales, et a limité les moyens par lesquels ils étaient autorisés à jouir de leurs terres et de leurs traditions, contrôlant l’ensemble de leurs mouvements. Cette même loi définit, aujourd’hui encore, qui est ou n’est pas un « Indien ». Dans ses tentatives d’assimilation coloniale, le gouvernement canadien retire, depuis 1883, des enfants de leurs milieux familiaux, communautaires et culturels. Qu’il s’agisse de sept générations d’écoles résidentielles ou du nombre stupéfiant d’enfants dans le système de protection de l’enfance, ces politiques abusives ont conduit à un traumatisme généralisé et à d’autres problèmes de santé mentale parmi les survivants. Conséquemment, l’on fait face à une sur-incarcération d’adultes autochtones dans les hôpitaux et les prisons. Aujourd’hui, les Autochtones représentent environ cinq pourcent de la population canadienne, mais plus de la moitié des enfants en famille d’accueil sont Autochtones, et les adultes autochtones constituent vingt-sept pourcent de la population des prisons fédérales. Dans certaines prisons, comme celles de Kenora, la population autochtone compte pour quatre-vingt-dix pourcent des détenus. Les personnes autochtones que je représente dans les peintures de la Maison des fous affichent les effets de traumatismes intergénérationnels, et je voulais montrer l’expression brute de leur douleur, tout en honorant leur force.
J’ai situé la série La maison des fous dans des espaces évoquant des institutions coloniales. Dans des scènes rappelant le panoptique de Michel Foucault, des personnes autochtones se trouvent isolées dans des prisons froides et oppressives, leurs individualités détruites par une société qui les nie, qui les catégorise et les confine en fonction de ses besoins. Des échos de l’architecture abstraite et des espaces de violence confuse de Francis Bacon sont perceptibles ici dans les murs sombres des institutions et dans l’interaction entres les figures clôturées. Les rencontres brutales qui ont lieu au sein des peintures évoquent également la tourmente dans La maison de fous de Goya, qui ont inspiré le nom de cette série. Les figures sont prisonnières de luttes à la fois physiques et métaphysiques, avec quelques œuvres représentant des êtres célestes que peut-être seuls les détenus peuvent voir.
En exposant la violence et le traumatisme de l’institutionnalisation coloniale qui se poursuit aujourd’hui au Canada et dans tant d’autres pays, je souhaite rendre hommage à la résistance durable des peuples autochtones. »
- KM