
Roberto Pellegrinuzzi
Éléments pour un paysage (Lac), 2004
Impression numérique sur papier Japonais / Digital print on Japanese paper
24 3/4 x 20 7/8 "
63 x 53 cm
63 x 53 cm
Ed. 3
Series: Éléments pour un paysage
© Roberto Pellegrinuzzi
$ 3,500.00
Pellegrinuzzi pousse à l’extrême le foliacé des épreuves photographiques. Déjà commencé dans les œuvres précédentes, cet intérêt pour la mince pellicule sur laquelle repose toute image atteint cette fois une...
Pellegrinuzzi pousse à l’extrême le foliacé des épreuves photographiques. Déjà commencé dans les œuvres précédentes, cet intérêt pour la mince pellicule sur laquelle repose toute image atteint cette fois une épaisseur inattendue.
….
Aux surfaces quadrillées des feuilles, à la mosaïque composée qui reconstituait la feuille, l’artiste oppose cette fois le foliacé des épreuves multiples. Cette série compte relativement peu d’images. La plupart révèlent des habitations sommaires, évoquant les chalets d’été, intitulés « domaine ». Quelques autres sont des saisies d’éléments naturels comme l’arbre et l’eau.
Devant ces nouvelles œuvres, on ne peut se défendre de l’impression de se trouver devant des épreuves en superposition. Est-ce le caractère vaguement translucide du papier de riz qui donne cet aspect ? Est-ce le rendu laiteux, conduisant les œuvres à une vague opalescence, une sorte d’évanescence vaporeuse ? Sans doute, mais il y a plus. On constate, à s’approcher des œuvres, qu’elles sont effectivement composées, pour certaines, d’étages multiples ; que de vagues lueurs les animent, qui semblent provenir des profondeurs.
Couchée sur un papier de riz à la minceur et à la fragilité notables à l’oeil nu, l’image ne se déploie plus d’une épreuve à l’autre, dans un étalement et une recomposition de fragments suturés. Elle expose plutôt la chose montrée en plongée, en profondeur, refaisant l’image grâce à un couchage d’épreuves multiples placées les unes sur les autres. Il en résulte une image qui évoque une certaine tridimensionnalité et propose des flous localisés, comme si, en certains secteurs de l’image, un obstacle, une sorte d’eau ou de taie faisait obstacle à la vue.
….. les surfaces semblent se succéder sur un même plan et forment autant de dermes différents, encavant la chose et la matière photographique. On assiste à un feuilleté des choses, à l’enfoliacement des états de matière couchés les uns sur les autres.
En fait, la chose montrée, dans les couches multiples de sa mise en image, dans cet aspect laiteux qui est le sien, se maintient à la frontière de la vue, à mi-chemin entre apparition et disparition. Elle force le regard à deviner et à reconstituer ce qui est présenté. La succession des plans produit à la fois une surenchère du montré et une évanescence du référent. Trop présente dans sa matérialité d’image, la chose reproduite demeure sur une frontière-limite entre révélation et retrait.
S’approche-t-on de l’image pour échapper au chatoiement embrouillé causé par la texture du papier de riz que l’on en arrive à entrevoir quelle quantité de ces feuilles il a fallu pour créer une seule image. Pris et captif, le sujet saisi croule presque sous les amas de ces couches accumulées. Au loin, presque engoncé dans une gangue épaisse, il semble vibrer, frémir mais il le fait, paradoxalement, de façon qu’on dirait statique, dans une sorte de bruissement immobile. Son épaisseur propre, l’illusion de sa tridimensionnalité disparaît dans le liséré sec du papier cassant. Révélé, embrouillé, il est là pourtant, suave et authentique.
En plus, s’ajoute à l’ensemble un effet de carrelage. Sur l’épreuve, on perçoit des variations de tonalité. Des plages, découpées en carrés, montrent plus de densité que d’autres. Comme si l’exposition à la lumière avait été inégale, ciselée par des caches. Cela crée une impression assez diffuse de variantes dans la gradation inégale des noirs, des blancs et des gris. En certains endroits, il arrive même que le grain des sels d’argent soit si ténu que c’est la surface bosselée du papier de riz, dont la texture est si craquante, qui transparaît au-delà d’un fond d’image disparu.
Nous contemplons ici des images « archéologiques » puisque composées de strates qui toutes participent à la constitution de l’œuvre finale. On croit y voir des temporalités différentes, comme si chaque image correspondait finalement à un moment précis du référent. L’œuvre apparaît alors comme une sorte de condensé comprimé, palimpseste volumétrique des différents états de cette portion du monde. L’image résultante s’anime sans bouger. Elle trépigne de tout le cumul de ces temporalités. Le film qu’on voit y poindre devient un bougé, le battement d’un temps qui aurait implosé jusqu’à se figer en cette représentation. L’œuvre devient l’aleph des multiples étant déployés dans le temps mais pour le moment accumulés sur une même aire. Compilation stratifiée de l’impondérabilité du temps, de ce que celui-ci apporte aux choses jusqu’à ce qu’elles paraissent ne plus coïncider avec leur essence. Ce faisant, Roberto Pellegrinuzzi donne le ton, donne matière à cette essence du divers et de l’impondérable issus du temps même.
….
Il n’est pas non plus innocent d’avoir choisi un arbre et la surface de l’eau comme matière à images. L’arbre, dans le déploiement de ses feuilles soumises aux saisons et aux caprices du vent, n’est jamais totalement semblable à lui-même. Quant à l’eau, ses visages sont légion. Tour à tour clapotante, berçante, agitée ou furieuse, son mouvement est incessant, infini, « inarrêtable ». L’image qu’en donne Pellegrinuzzi l’est tout autant, dans la multiplication des chatoiements de surface accentuée par l’effet de profondeur des feuilles de riz se succédant.
Bref, Roberto Pellegrinuzzi cherche, en ces nouvelles oeuvres, à nous convaincre que la surface est chose profonde et que le temps peut être décliné en ces multiples strates dans le lieu d’une image apparemment unique mais échelonnée en moments différents sous le coup d’une seule prise.
Texte adapté de:
https://cielvariable.ca/numeros/ciel-variable-67-mouvement-fixe/roberto-pellegrinuzzi-foliacees-sylvain-campeau/
….
Aux surfaces quadrillées des feuilles, à la mosaïque composée qui reconstituait la feuille, l’artiste oppose cette fois le foliacé des épreuves multiples. Cette série compte relativement peu d’images. La plupart révèlent des habitations sommaires, évoquant les chalets d’été, intitulés « domaine ». Quelques autres sont des saisies d’éléments naturels comme l’arbre et l’eau.
Devant ces nouvelles œuvres, on ne peut se défendre de l’impression de se trouver devant des épreuves en superposition. Est-ce le caractère vaguement translucide du papier de riz qui donne cet aspect ? Est-ce le rendu laiteux, conduisant les œuvres à une vague opalescence, une sorte d’évanescence vaporeuse ? Sans doute, mais il y a plus. On constate, à s’approcher des œuvres, qu’elles sont effectivement composées, pour certaines, d’étages multiples ; que de vagues lueurs les animent, qui semblent provenir des profondeurs.
Couchée sur un papier de riz à la minceur et à la fragilité notables à l’oeil nu, l’image ne se déploie plus d’une épreuve à l’autre, dans un étalement et une recomposition de fragments suturés. Elle expose plutôt la chose montrée en plongée, en profondeur, refaisant l’image grâce à un couchage d’épreuves multiples placées les unes sur les autres. Il en résulte une image qui évoque une certaine tridimensionnalité et propose des flous localisés, comme si, en certains secteurs de l’image, un obstacle, une sorte d’eau ou de taie faisait obstacle à la vue.
….. les surfaces semblent se succéder sur un même plan et forment autant de dermes différents, encavant la chose et la matière photographique. On assiste à un feuilleté des choses, à l’enfoliacement des états de matière couchés les uns sur les autres.
En fait, la chose montrée, dans les couches multiples de sa mise en image, dans cet aspect laiteux qui est le sien, se maintient à la frontière de la vue, à mi-chemin entre apparition et disparition. Elle force le regard à deviner et à reconstituer ce qui est présenté. La succession des plans produit à la fois une surenchère du montré et une évanescence du référent. Trop présente dans sa matérialité d’image, la chose reproduite demeure sur une frontière-limite entre révélation et retrait.
S’approche-t-on de l’image pour échapper au chatoiement embrouillé causé par la texture du papier de riz que l’on en arrive à entrevoir quelle quantité de ces feuilles il a fallu pour créer une seule image. Pris et captif, le sujet saisi croule presque sous les amas de ces couches accumulées. Au loin, presque engoncé dans une gangue épaisse, il semble vibrer, frémir mais il le fait, paradoxalement, de façon qu’on dirait statique, dans une sorte de bruissement immobile. Son épaisseur propre, l’illusion de sa tridimensionnalité disparaît dans le liséré sec du papier cassant. Révélé, embrouillé, il est là pourtant, suave et authentique.
En plus, s’ajoute à l’ensemble un effet de carrelage. Sur l’épreuve, on perçoit des variations de tonalité. Des plages, découpées en carrés, montrent plus de densité que d’autres. Comme si l’exposition à la lumière avait été inégale, ciselée par des caches. Cela crée une impression assez diffuse de variantes dans la gradation inégale des noirs, des blancs et des gris. En certains endroits, il arrive même que le grain des sels d’argent soit si ténu que c’est la surface bosselée du papier de riz, dont la texture est si craquante, qui transparaît au-delà d’un fond d’image disparu.
Nous contemplons ici des images « archéologiques » puisque composées de strates qui toutes participent à la constitution de l’œuvre finale. On croit y voir des temporalités différentes, comme si chaque image correspondait finalement à un moment précis du référent. L’œuvre apparaît alors comme une sorte de condensé comprimé, palimpseste volumétrique des différents états de cette portion du monde. L’image résultante s’anime sans bouger. Elle trépigne de tout le cumul de ces temporalités. Le film qu’on voit y poindre devient un bougé, le battement d’un temps qui aurait implosé jusqu’à se figer en cette représentation. L’œuvre devient l’aleph des multiples étant déployés dans le temps mais pour le moment accumulés sur une même aire. Compilation stratifiée de l’impondérabilité du temps, de ce que celui-ci apporte aux choses jusqu’à ce qu’elles paraissent ne plus coïncider avec leur essence. Ce faisant, Roberto Pellegrinuzzi donne le ton, donne matière à cette essence du divers et de l’impondérable issus du temps même.
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Il n’est pas non plus innocent d’avoir choisi un arbre et la surface de l’eau comme matière à images. L’arbre, dans le déploiement de ses feuilles soumises aux saisons et aux caprices du vent, n’est jamais totalement semblable à lui-même. Quant à l’eau, ses visages sont légion. Tour à tour clapotante, berçante, agitée ou furieuse, son mouvement est incessant, infini, « inarrêtable ». L’image qu’en donne Pellegrinuzzi l’est tout autant, dans la multiplication des chatoiements de surface accentuée par l’effet de profondeur des feuilles de riz se succédant.
Bref, Roberto Pellegrinuzzi cherche, en ces nouvelles oeuvres, à nous convaincre que la surface est chose profonde et que le temps peut être décliné en ces multiples strates dans le lieu d’une image apparemment unique mais échelonnée en moments différents sous le coup d’une seule prise.
Texte adapté de:
https://cielvariable.ca/numeros/ciel-variable-67-mouvement-fixe/roberto-pellegrinuzzi-foliacees-sylvain-campeau/