La galerie Pierre-François Ouellette art contemporain est heureuse de présenter un projet spécial commissarié par Emmanuelle Choquette et Stéphane Gilot.
Où l'écho précède la voix est une proposition collective basée à la fois sur le souvenir d'une installation-performance réalisée en 2017[1] et sur l'extrapolation des espaces fictifs qui y étaient alors évoqués. Les collaboratrices Alisha Piercy, Hanna Sybille Müller et Caroline Boileau sont invitées une fois de plus à investir la structure architecturale conceptualisée par Stéphane Gilot. L'installation originale qui se déployait au sol comme un plancher reprenant la forme des couloirs dans le classique jeu de société Clue, prend ici une configuration éclatée. Les éléments disposés dans la galerie comme des sculptures marquent toujours la référence aux corridors, espaces de circulation et de liaison entre différents endroits, pièces, salles. Ainsi organisés en une composition plus abstraite, les fragments agissent comme une signalétique intrigante, des indices de lieux absents. Des couloirs donnant sur des portes dérobées, derrière lesquelles se trouvent peut-être bien la chambre, la salle de bal ou la bibliothèque, mais peut-être aussi d'autres mondes, oniriques, fictifs, imaginés.
Les corridors deviennent portails et une brèche s'ouvre vers un métavers. En effet, les grands dessins d'Alisha Piercy offrent une percée dans un univers virtuel - l'île AbTec, dans Second Life[2] - qu'elle explore en tant qu'artiste-chercheuse allochtone. Lors de ces excursions dans ce monde numérique, elle se met à l'écoute, accueille les messages des apparitions fantomatiques voulant guider les vivants dans le monde réel. Par le dessin, elle donne une matérialité analogique à ces expériences; elle propose des tableaux éthérés où les formes architecturales deviennent spéculatives et où la vibration du son, des signaux et des paroles peut prendre forme.
Les espaces convoqués dans l'exposition semblent peuplés de spectres, dont la présence se matérialise par moments par les mots, écrits et parlés. C'est ainsi qu'entre en scène L'oiseau de malheur, de Caroline Boileau, sorte d'animal livresque habitant les couloirs jaunes. Lorsqu'il s'anime, il s'approche de nous, nous offre la lecture d'une plume au passage. Se mouvant lentement, le bruit subtil de son manteau de papier et de texte le suit et l'entoure, comme un froissement de pages et de plumes. Les mots lus continuent de résonner dans les aquarelles de tympans et de canaux auriculaires qui pourraient tout aussi bien représenter d'autres couloirs et réseaux de circulation entre des mondes rêvés, simulés ou astronomiques.
La distance entre les lieux physiques et imaginaires devient le terrain de jeu d'une performance chorégraphiée par Hanna Sybille Müller, basée sur sa pièce de 2016 intitulée transposition. Sybille, n'étant pas à Montréal en ce moment, elle confie la nouvelle partition à un interprète : Diego Gil. Celui-ci dessine des espaces mémorisés, inconnus et imaginaires qu'il décrit par ses gestes et son corps. Par sa voix, il évoque des lieux atypiques, fermés et parfois étranges alors que ses mouvements nous permettent de nous les imaginer. L'écriture, qui prend ici forme dans le mouvement et le son, nous place dans un état d'observation de l'espace irréel et féerique suggéré.
Cette expérience se poursuit dans la salle d'écoute, où un petit dessin, comme un songe, est le seul élément sorti de l'obscurité. Une série de passages tirés de plusieurs romans et nouvelles[3] est lu alternativement par Alisha Piercy, Caroline Boileau et Hanna Sybille Müller, nous guidant dans la visualisation de ces pièces, cachées derrière les portes qui s'alignent dans les corridors jaunes.
[1] Ce que racontent les couloirs jaunes, présenté dans le cadre du Festival Art souterrain, 2017.
[2] L'île AbTeC (Aboriginal Territories in Cyberspace / Territoires autochtones dans le cyberespace) est un environnement virtuel déterminé par les Premières Nations, créé par les artistes Skawennati et Jason Edward Lewis dans le jeu Second Life.
[3] Charlotte Perkins Gilman, The Yellow Wall-paper, 1892. Leonora Carrington, Le cornet acoustique (The Hearing Trumpet). Écrit dans les années 1940 et dont la traduction française est parue en 1974, deux ans avant la publication en langue originale anglaise. Michel Tremblay, La chambre octogonale, 1966. Yoko Ogawa, La petite pièce hexagonale, 1994. Herbjorg Wassmo, L'Héritage de Karna, 1997. Alisha Piercy, Ice Breaker / Auricle, 2010.
PROGRAMME DE PERFORMANCES
BIOGRAPHIES
Alisha Piercy est une artiste-chercheuse allochtone, candidate au doctorat en Cultural Studies (recherche-création, ABD) à l'université Queen's (Canada) et chercheuse au International Council of Design (Montréal, Canada). Son travail interdisciplinaire comprend le dessin, l'installation, le film, et elle est l'autrice de poèmes et de romans. Son projet actuel, une théorie-fiction spéculative, s'inscrit dans le cadre de recherches sur la hantologie, la science-fiction autochtone vivante, le design spéculatif et l'appartenance à un monde multi-espèces. Le travail explore les spectres de l'héritage colonial et de la hantise en tant que force créatrice qui déstabilise les relations humaines avec la terre, l'eau et les mondes autres qu'humains. Ses imaginaires spatiaux engagent les ontologies et les méthodes de narration occidentales et autochtones dans toutes leurs potentialités et leur incommensurabilité.
Alisha a effectué une résidence d'écriture Banff Centre for the Arts en 2021 avec le poète Jordan Abel (Nisga'a Nation) et sa fiction est publiée chez Book*hug (Toronto). Son travail artistique (en collaboration et en solo) a été exposé à Somerset House (Londres, Royaume-Uni), Simultan Festival XVII, (Timisoara, Roumanie), Athens Digital Arts Festival Online (ADAF) (Grèce), Noviembre Electronico (Buenos Aires AR) et à Montréal et au Québec, dans des galeries : AXENÉO7, Diagonale, fofa, MUTEK, Centre Clark, Société des arts technologiques (SAT) et Pierre-François Ouellette art contemporain.
Caroline Boileau est une artiste multidisciplinaire, commissaire indépendante et enseignante vivant à Montréal. Travaillant à partir d'une perspective féministe, avec un intérêt marqué pour la santé - intime, publique, sociale et politique - elle crée des œuvres, souvent hybrides, qui s'élaborent par une pratique multidisciplinaire à travers l'installation, le dessin, la vidéo et la performance. Le corps hybride, les multiples représentations du corps - et celui de la femme en particulier - sont des thèmes récurrents dans sa recherche, inspirée par l'histoire de l'art, l'histoire de la médecine, des sciences et aussi par l'actualité. Par un travail en dialogue avec des lieux, des collections et des objets, des communautés et des gens, son travail tend à révéler des cohabitations improbables en proposant la transformation, à la fois poétique et politique, d'un espace partagé.
Active dans le milieu des centres d'artistes depuis le début des années 90, elle a participé à de nombreux projets de résidences et son travail a été présenté lors d'expositions solos et collectives au Canada, aux États-Unis, en Scandinavie et en Europe. Son travail en vidéo est distribué par le GIV (Groupe intervention vidéo).
Récemment, elle a présenté Petits tracas et autres délices, une sélection de dessins et livres d'artistes dans l'espace atypique du Hangar 7826 (Montréal, avril 2023). Elle a aussi participé à l'exposition collective en trois volets Le septième pétale d'une tulipe-monstre à la Maison des artistes visuels francophones (Winnipeg, automne 2022), à la Galerie d'art Louise-et-Reuben-Cohen (Moncton, hiver 2023) et à la Galerie de l'UQAM (Montréal, automne 2023). À l'hiver 2024, elle présente l'aboutissement d'un projet de résidence de près de quatre ans avec l'exposition collective Les engendrementsà la Galerie de l'Université de Montréal dans le cadre du projet de recherche-création de la Chaire McConnell-Université de Montréal en recherche-création sur la réappropriation de la maternité : libérer la parole des femmes.
Diego Gil est un chorégraphe, interprète et philosophe argentin qui a étudié à Amsterdam à la School for New Dance Development (BA), à Das Choreography (MA) et qui détient un doctorat du programme Humanities de l'Université Concordia. Pendant plus d'une décennie, il a travaillé comme artiste professionnel entre Amsterdam et Berlin et, depuis huit ans, il est établi à Montréal. Il a travaillé intensivement avec le Sense Lab, un laboratoire de recherche-création à l'intersection de la philosophie, de l'art et de l'activisme, dans l'organisation d'événements esthétiques-politiques (i.e. minor movements (2020-19) schizosomatic, une série d’ateliers (2019), movement of thoughts (2018-17)).
Emmanuelle Choquette est auteure, chercheuse et commissaire indépendante. Titulaire d'une maîtrise en histoire de l'art de l'UQAM, elle s'intéresse particulièrement aux pratiques d'appropriation des archives qui visent à réécrire les discours historiques hégémoniques et qui portent un regard critique sur les formats de l'exposition et de la conservation. Ses recherches examinent l'articulation des espaces politiques et institutionnels au sein de pratiques souvent installations et performatives.Ses textes sont publiés dans les revues Espace art actuel, Vie des arts, le Sabord, Ciel Variable et esse art + opinions. Elle a co-dirigé les publications L'art imprimé, entre mixité et hybridité / Gráfica Abierta : Rutas expensivas en la gráfica mexicana (Arprim, 2022) et Une bibliographie commentée en temps réel : l'art de la performance au Québec et au Canada (Artexte, 2019). Ses projets de commissariat ont été présentés à OBORO, à la Maison des arts Desjardins de Drummondville, à Artexte, à la galerie Pierre-François Ouelette art contemporain et prochainement au Museo Nacional del Cacao (Guayaquil, Équateur). Elle a participé à des résidences de recherche à Est-Nord-Est (St-Jean-Port-Joli) et au Laboratorio Arte Alameda (Mexico) en collaboration avec OBORO. De 2013 à 2021, elle a été directrice générale d'Arprim, un centre d'essai pour l'art imprimé, où elle a notamment coordonné un échange entre artistes mexicains et canadiens. Elle a été vice-présidente puis co-présidente pendant 4 ans du conseil d'administration du Regroupement des centres d'artistes autogérés du Québec (RCAAQ) et elle siège présentement aux conseils d'administration de Est-Nord-Est et de SBC Galerie d'art contemporain.
Originaire de Belgique, Stéphane Gilot habite et travaille à Montréal depuis 1996.
Le travail multidisciplinaire de l'artiste combine des installations architecturales où la vidéo et la performance jouent un rôle important, ainsi que des dessins, des aquarelles et des maquettes. Son approche de la sculpture est souvent conçues d'après le contexte de présentation et transforme l'espace en tenant compte de son aspect architectural et idéologique, tout en interrogeant le terrain métaphorique de l'art et de ses publics. Depuis une quinzaine d'année, cette démarche s'articule principalement autour de deux séries : les Plans d'évasion, et les Mondes modèles. Les œuvres de la première série se caractérisent par une pratique de l'installation performative qui s'intéresse aux diverses formes d'utopie et de dystopie, à l'architecture, aux structures sociales, à la cosmologie et à l'épistémologie. La seconde série complète la précédente à partir de la notion de modélisation.
Cette approche critique des contextes d'intervention et d'exposition, propose également un ensemble d'expérimentations sur les questions soulevées par les protocoles de collaborations interdisciplinaires.
Parmi ses expositions récentes, mentionnons Papvillon, La Comète - 251 Nord, Liège (2019); Collision, un opéra pour demi-sous-sol, en collaboration avec Sara Létourneau et Tim Brady, Le Lobe, Chicoutimi (2018); Le catalogue des futursprésenté au Musée d'art de Joliette (2016); Pièce pour cinq interprètes, lumière rose et silence à l'Espace 221, Pierre-François Ouellette art contemporain (2014) et à la Biennale de La Havane (2015); MULTIVERSITÉ/Métacampus à la Galerie de l'UQÀM (2012), Séjour Bistre à L'Œil de poisson (2011); La Cité performative au Musée national des beaux-arts du Québec (2012) et à Optica (2010); Le buvard du monde à Occurrence (2010); Cineplastic Campus à la Blackwood Gallery (2008); La Station chez Oboro (2006); et Videogame à la Paul Petro Contemporary Art (Toronto, 2005). Il a également exposé dans le cadre de Reverse Pedagogy, à la Model Arts and Niland Gallery (Sligo, Irlande, 2009), au Musée d'art contemporain de Montréal lors de la Triennale Québécoise en 2008 et lors du solo Libre arbitre(2001); ainsi que dans le cadre de Smile Machine durant la Transmediale de Berlin en 2006.
Stéphane Gilot détient une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l'Université du Québec à Montréal (2006). Les installations MULTUVERSITÉ/Métacampus, de même que la Cité performative récemment acquise par le Musée national des beaux-arts du Québec, avec d'autres œuvres de l'artiste font l'objet d'un ouvrage illustré. Cette publication est le fruit d'une collaboration entre la Galerie de l'UQÀM et le MNBAQ.
Hanna Sybille Müller (1976) est une chorégraphe, dramaturge et artiste de la danse qui vit à Tiohtiá:ke/Mooniyang/Montréal. Elle s'intéresse principalement au langage, au mouvement et à ses interrelations. Sybille s'intéresse aux pouvoirs étranges, magiques et ordinaires du langage et du corps. Vous la trouverez régulièrement dans un studio en train de traduire des idées philosophiques ou scientifiques en chorégraphie et en partitions de mouvement. Elle aime détourner les objets du quotidien pour créer des espaces (décors de scène) qui invitent le public à une relation non frontale avec l'œuvre. Ses chorégraphies se situent souvent entre les frontières de la danse, de la performance, du théâtre et de l'installation. Elle remet toujours en question et modifie les paramètres de la danse conventionnelle en créant des œuvres multisensorielles immersives qui ne mettent pas l'accent sur la vue. Développer des relations ludiques avec et entre les membres du public et faire preuve d'humour fait partie de son travail.
Elle s'interroge sur ce que signifie collaborer avec des humains et des non-humains, dans sa collaboration la plus récente avec Erin Robinsong : Polymorphic Microbe Bodies, dont la première a eu lieu au festival OFFTA en juin 2023 et qui a été présenté comme film de danse somatique (webcast) en 2021 à Tangente, à Montréal. Dans son projet en cours The Choreographic Garden (2023) en collaboration avec le Musée d'art de Joliette, elle et son équipe apprennent des plantes ce que signifie penser, bouger et être végétal. The Choreographic Garden est aussi un véritable jardin qui pousse devant le Musée d'art de Joliette.
Dans l'œuvre Moving through the Archive (2022) réalisée avec la Galerie UQO à Gatineau, elle a remis en question l'objectivité des archives et de l'archivage. Ce travail a également donné lieu à l'exposition L'instabilité de l'archive (2022) à la Galerie UQO.
Originaire d'Allemagne, Sybille a étudié la danse à la Rotterdamse Dansacademie (RDA) et a obtenu un diplôme en études des médias de la Berlin University of the Arts (UdK) en 2012. Sybille enseigne régulièrement les pratiques chorégraphiques. Sybille est également membre du groupe de mentorat Continuum pour devenir une enseignante Continuum.